4. Les Fées
Il était une fois une
veuve qui avait deux filles : l'aînée lui ressemblait si fort d'humeur
et de visage, que, qui la voyait, voyait la mère. Elles étaient toutes
deux si désagréables et si orgueilleuses, qu'on ne pouvait vivre avec
elles. La cadette, qui était le vrai portrait de son père pour la
douceur et l'honnêteté, était avec cela une des plus belles filles qu'on
eût su voir.
Comme on aime naturellement son semblable, cette mère était folle de sa
fille aînée, et, en même temps avait une aversion effroyable pour la
cadette. Elle la faisait manger à la cuisine et travailler sans cesse.
Il fallait, entre autres choses, que cette pauvre enfant allât, deux
fois le jour, puiser de l'eau à une grande demi-lieue du logis, et
qu'elle rapportât plein une grande cruche.
Un jour qu'elle était à cette fontaine, il vint à elle une pauvre femme
qui lui pria de lui donner à boire.
-" Oui-dà, ma bonne mère, " dit cette belle fille ; et, rinçant aussitôt
sa cruche, elle puisa de l'eau au plus bel endroit de la fontaine et la
lui présenta, soutenant toujours la cruche, afin qu'elle bût plus
aisément.
La bonne femme, ayant bu, lui dit :
" Vous êtes si belle, si bonne et si honnête, que je ne puis m'empêcher
de vous faire un don ; car c'était une fée qui avait pris la forme d'une
pauvre femme de village, pour voir jusqu'où irait l'honnêteté de cette
jeune fille. Je vous donne pour don, poursuivit la fée, qu'à chaque
parole que vous direz, il vous sortira de la bouche ou une fleur, ou une
pierre précieuse. "
Lorsque cette belle fille arriva au logis, sa mère la gronda de revenir
si tard de la fontaine.
" Je vous demande pardon, ma mère, dit cette pauvre fille, d'avoir tardé
si longtemps " ; et, en disant ces mots, il lui sortit de la bouche
deux roses, deux perles et deux gros diamants.
" Que vois-je là ! dit sa mère toute étonnée ; je crois qu'il lui sort
de la bouche des perles et des diamants. D'où vient cela, ma fille ? (Ce
fut là la première fois qu'elle l'appela sa fille.)
La pauvre enfant lui raconta naïvement tout ce qui lui était arrivé, non
sans jeter une infinité de diamants.
" Vraiment, dit la mère, il faut que j'y envoie ma fille. Tenez,
Fanchon, voyez ce qui sort de la bouche de votre sœur quand elle parle ;
ne seriez-vous pas bien aise d'avoir le même don ? Vous n'avez qu'à
aller puiser de l'eau à la fontaine, et, quand une pauvre femme vous
demandera à boire, lui en donner bien honnêtement.
- Il me ferait beau voir, répondit la brutale, aller à la fontaine !
- Je veux que vous y alliez, reprit la mère, et tout à l'heure. " Elle y
alla, mais toujours en grondant.
Elle prit le plus beau flacon d'argent qui fut au logis. Elle ne fut pas
plus tôt arrivée à la fontaine, qu'elle vit sortir du bois une dame
magnifiquement vêtue, qui vint lui demander à boire. C'était la même fée
qui avait apparu à sa sœur, mais qui avait pris l'air et les habits
d'une princesse, pour voir jusqu'où irait la malhonnêteté de cette
fille.
" Est-ce que je suis ici venue, lui dit cette brutale orgueilleuse, pour
vous donner à boire ? Justement j'ai apporté un flacon d'argent tout
exprès pour donner à boire à Madame ! J'en suis d'avis : buvez à même si
vous voulez.
- Vous n'êtes guère honnête, reprit la fée, sans se mettre en colère. Eh
bien ! puisque vous êtes si peu obligeante, je vous donne pour don qu'à
chaque parole que vous direz, il vous sortira de la bouche ou un
serpent, ou un crapaud. "
D'abord que sa mère l'aperçut, elle lui cria :
" Eh bien ! ma fille !
- Eh bien ! ma mère ! lui répondit la brutale, en jetant deux vipères et
deux crapauds.
- O ciel, s'écria la mère, que vois-je là ? C'est sa sœur qui est en
cause : elle me le paiera " ; et aussitôt elle courut pour la battre.
La pauvre enfant s'enfuit et alla se sauver dans la forêt prochaine. Le
fils du roi, qui revenait de la chasse, al rencontra et, la voyant si
belle, lui demanda ce qu'elle faisait là toute seule et ce qu'elle avait
à pleurer !
" Hélas, Monsieur, c'est ma mère qui m'a chassée du logis. "
Le fils du roi, qui vit sortir de sa bouche cinq ou six perles et autant
de diamants, lui pria de lui dire d'où cela lui venait. Elle lui conta
toute son aventure. Le fils du roi en devint amoureux ; et, considérant
qu'un tel don valait mieux que tout ce qu'on pouvait donner en mariage à
une autre, l'emmena au palais du roi son père, où il l'épousa.
Pour sa sœur, elle se fit tant haïr, que sa propre mère la chassa de
chez elle ; et la malheureuse, après avoir bien couru sans trouver
personne qui voulut la recevoir, alla mourir au coin d'un bois.